Portfolio


Libre, partir sans rien savoir d’avance, sans me demander si ce ne serait pas mieux d’être ailleurs plutôt que là, prendre le risque de revenir bredouille : la vie est sérieuse.

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Le récit de la genèse nous rapporte que Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Puis Dieu sépara la lumière des ténèbres (Gn 1, 3-4). Lui seul pouvait faire une telle œuvre ! Ainsi tout fut prêt pour qu’un jour soit la photographie.

Photographier signifie écrire avec la lumière ; à quoi je préfère : laisser la lumière s’écrire. Parce que, sur le terrain, appareil en main, je sais ce que je fais, et encore, mais je sens bien qu’il reste une part de non-maîtrisé, une part de mystère.

C’est pourquoi toute image est cadeau, un monde que je vais découvrir. S’ouvre le temps des rencontres improbables : une porte s’ouvre, une femme surprise et amusée n’arrête pas son élan, un rideau d’eau se déchire en une fraction de seconde : dans l’ouverture, juste, un enfant me sourit.

Partir est un temps pour nourrir le regard, n’être plus que cela, regard. Ouvrir les yeux et tendre l’oreille. Temps de promesse qui unifie l’âme, dilate l’être. Temps de communion.

Dieu n’a créé que beauté, par pure bonté. Beauté, bonté, prévenance.

Qu’est-ce que la beauté ? D’où nous vient-elle ? N’existait-elle pas avant que l’homme soit ? Ne l’accompagne-t-elle pas depuis qu’il est ?

Sûrement. La beauté nous est fidèle. Le photographe habite le présent. Appareil en main, il conjugue photographier au présent de tous les temps. Il marche les yeux levés au ciel. Il fait signe aux nuages. Ils n’ont pas de consistance, pourtant le vent les pousse. Étonnant ! Si je souffle sur de la poussière… Ils se modifient sans cesse : tenteraient-ils, par ces perpétuelles métamorphoses, d’échapper aux bourrasques ?

La beauté est fille de la vie, elle en révèle la profondeur, elle en est le visage gracieux, elle est son chant lumineux aux saveurs variées, inépuisables, comme l’était la manne dans le désert.

Photographier, pour moi, c’est donner chair à un violent désir intérieur, c’est une mise en route. Il y a ce qui se révèle dans une fulgurance surprenante et éphémère, grâce du rendez-vous qui tient du miracle, image première au sens bachelardien du terme. Parfois, un peu voilée, l’image espère être vue au-delà des apparences. L’avènement de l’image est une mise en vérité du photographe.

Je m’arrête au bord de l’eau, merveilleuse créature, amie précieuse. Du plus loin qu’on l’entend, elle attire, elle enchante, c’est-à-dire nous fait entrer en chant. Dieu l’a tissée de ses doigts avec tendresse, pensant à l’homme alors qu’il n’avait pas encore de forme. Belle, humble, elle reçoit en elle le ciel qui se penche sur elle et une simple flaque suffit à en dire l’immensité.

Fantaisie du chemin de rencontre : je pénètre dans un cloître. L’air vibre en noir et or. Je pense qu’il manque une femme en manteau noir pour que le tableau atteigne à son sommet. J’attends. Il suffit de voir un tableau en pensée et il sera, aujourd’hui ou demain mais il sera, car si je le pense, c’est qu’il existe. Mais c’est aujourd’hui, c’est maintenant ! Magie de l’instant, étincelle de la rencontre. La rencontre ? C’est cette trace qui ne s’efface pas de la mémoire une fois seul à nouveau et revenu au silence, c’est cette jubilation de n’être pour rien à cette scène inouïe quand le rideau est tombé.

Tiens ! Voilà que mon image est floue ! Malgré cela je la trouve belle. Je sais, le flou n’a pas bonne presse. Sous prétexte qu’il ne permet pas de bien voir, lui-même n’est pas bien vu : une image floue et une image ratée. J’ai une certaine tendresse pour le flou. Il ne refuse pas de montrer, au contraire, mais presque en s’excusant de ne pas tout dévoiler d’un coup. Il invite le regardant à faire un chemin, un peu déconcertant il est vrai parce que ne correspondant pas à ce qu’exige naturellement le regard. Et si dans le flou se tenait une promesse ? Promesse d’un passage possible du regard de chair au regard intérieur par exemple, promesse pour quiconque investit cet espace singulier de faire l’expérience de voir ce que lui seul verra, petit bonheur qui l’habitera durablement.

La beauté se manifeste à l’homme à des degrés divers, à la mesure de ce que chacun peut porter. Ainsi la beauté est souvent comprise comme subjective, mais alors, dans la subjectivité mouvante et changeante, comment pourrait-elle être consolante ? Fidèle, elle sera parure de joie intérieure pour qui l’accueille. Inséparable de la sagesse, qui la recherche connaîtra le vrai.

Sempiternel babillage de l’eau : l’eau joue à s’éclabousser. L’eau entend. Elle a reçu son chant du silence nocturne des profondeurs de la terre : elle s’en souvient. Les ténèbres souterraines lui valent son étonnante clarté.

La beauté est un refuge pour l’âme inquiète. Elle désaltère les cœurs à son mystère couleur d’infini. Innocente et gracieuse, tranquille, un peu secrète, elle se donne venant de loin jusqu’à nous. Elle est gardienne d’humanité. Désarmée, libre et légère, sa source n’est pas de ce monde :

En répandant mille grâces
En hâte il a passé par les bocages
Et les parcourant du regard
Par son seul visage
Il les laissa vêtus de beauté.
Saint Jean de la Croix (Cantique V)

Beauté a une grande sœur, Merveille, l’intouchable, elle a aussi Laideur, la désolante, pour farouche adversaire.

Jeu innocent de l’eau et de la lumière : qui, la première a ravi l’autre ? La source qui naît au jour assoiffée de lumière ? Ou la lumière à peine née de la nuit finissante, désireuse de rosée ? Voici la lumière prisonnière, ô combien consentante, de la goutte d’eau. Perle d’eau, perle de lumière. Resplendissante, dans un pur éclat jailli d’une entente parfaite, l’eau donne de voir la lumière invisible.

Et les ténèbres aussi ! L’œuvre divine de séparation des ténèbres et de la lumière n’a pas pour finalité qu’elles soient antagonistes. L’une, jour, les autres, nuit, elles sont sœurs. Les ténèbres ont besoin de la lumière pour être éclairées et donner à voir ce qu’elles couvrent de leur voile de sommeil. Dans cet échange, aucune ne change de nature : que se retire la lumière… Et au matin de la Résurrection :

Le jour au jour en livre le récit
et la nuit à la nuit en donne connaissance.
Pas de paroles dans ce récit,

pas de voix qui s’entende ;
mais sur toute la terre en paraît le message

et la nouvelle aux limites du monde.
(Ps 18(19), 3-5)

La photographie dit la vie. Non pas en spectatrice extérieure mais en l’épousant pour mieux la dire de l’intérieur. En plus de la longueur et de la largeur, la photographie a pour troisième dimension la rencontre, laquelle la sauve d’être un objet réductible à sa seule esthétique et lui donne de naître parole.

L’artiste est passeur de beauté. Elle est le lien unissant le visible à l’invisible. La beauté murmure au cœur de l’homme la tendresse infinie de Dieu, elle est source d’espérance en sa divine miséricorde, toute amour.

La photographie n’est pas un art figé dans un « il y avait », elle n’est pas témoin après-coup. Art vivant, elle est de l’instant. Elle est une mendiante qui ne renonce pas.

La photographie est une glaneuse amoureuse. Un peu secrète, dans ses rêves, la nuit, de la moindre lueur elle fera une aurore.

La photographie est servante, feu du beau, du bon et du vrai qui ensemble dessinent le cœur et le visage de Dieu.

Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : tout cela était très beau.
(Gn 1, 31).

Tes œuvres me comblent de joie :
devant l’ouvrage de tes mains, je m’écrie :
« Que tes œuvres sont grandes, Seigneur !
Combien sont profondes tes pensées ! »
(Ps 91(92), 5-6)

Qui n’a pas souhaité suspendre le temps pour mieux goûter ce qui est donné : la beauté de l’instant ? Elle est don, moment de grâce qui invite à la contemplation. On la sait soumise au temps, mais on la devine irruption d’éternité. Elle est cueillie comme le fruit d’un mystère qui nous dépasse, reflet de l’immense amour. Contempler ce qui est donné sans condition, c’est accueillir la grâce. … La grâce de l’instant opère dans la contemplation, elle nous cueille et nous transporte sur la voie de l’émerveillement. Prenons ce temps, demeurons, contemplons. C’est le sublime cadeau de Dieu.
Nathalie Danest-Petit (Contempler, Magnificat avril 2024)

J’habite ma vie. Antoine de Saint Exupéry écrivait : Fais de ta vie un rêve, fais d’un rêve une réalité. On reçoit la vie, on recueille l’eau, on engrange les rencontres, on se brûle à la beauté, pourquoi ne pas essayer de raconter cela par l’image ? Allons, en route !

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